Argumentaire

La diplomatie religieuse trouve ses racines dans les interactions historiques entre les pouvoirs politiques et religieux. Dès l'Antiquité, les autorités exploitaient la religion pour instaurer la paix ou renforcer leur pouvoir en s’appuyant sur des valeurs spirituelles communes. Ce concept a évolué pour devenir une collaboration entre leaders religieux et politiques, visant à promouvoir la coexistence pacifique, résoudre les conflits et encourager la tolérance. Des exemples historiques comme l’Hégire, symbole de la protection des minorités, ou l’Édit de Nantes, ayant atténué les tensions confessionnelles, illustrent cette interaction. Fondée sur le dialogue interreligieux et l’inclusion, la diplomatie religieuse s’impose comme une approche humaniste pour surmonter les divisions sociopolitiques.

Historiquement, le religieux a joué un rôle central dans la structuration des sociétés, orientant leurs organisations sociales, politiques et culturelles. En tant que guide moral et ciment communautaire, il a rythmé la vie publique à travers des rituels, des lois et des principes divins, légitimant l'autorité des dirigeants. Cependant, l’avènement de la modernité et des Lumières a marqué une désacralisation progressive des sociétés. La science, la raison et les idéaux humanistes ont confiné le religieux à la sphère privée, réduisant son influence sur les institutions publiques. Pourtant, malgré cette marginalisation apparente, le religieux demeure un acteur central des débats éthiques et sociaux contemporains, appelant à un équilibre entre sacré et profane dans les sociétés modernes.

Dans ce contexte de sécularisation, on observe un retour du religieux dans les négociations sociopolitiques, porté par des figures influentes et des initiatives locales ou internationales. Par exemple, lors de la grève des étudiants au Sénégal en 1988, le Guide Abdoul Aziz Sy, khalife général des Tidjanes, a joué un rôle de médiateur crucial entre étudiants et gouvernement, désamorçant une crise nationale. De même, le Pape Jean-Paul II a incarné cette diplomatie religieuse sur la scène internationale, notamment dans le conflit des Malouines en 1982, où il a encouragé le dialogue entre l’Argentine et le Royaume-Uni. Ces interventions illustrent comment le religieux reconfigure les acteurs diplomatiques en dépassant les cadres étatiques traditionnels.
Ainsi, la diplomatie religieuse s’affirme comme une forme de diplomatie non officielle, mais dont la légitimité est reconnue par les États et les institutions internationales. Mobilisant des valeurs spirituelles et des figures influentes, elle joue un rôle clé dans la médiation des conflits, le renforcement de la paix et le dialogue interculturel. Par son approche humaniste, elle complète les efforts diplomatiques officiels, répondant aux besoins de cohésion dans des contextes marqués par des tensions et des crises, et s’imposant comme un acteur incontournable des relations internationales modernes.


La diplomatie religieuse est un domaine crucial et interdisciplinaire, qui se situe à l’intersection des sciences sociales, des relations internationales et des études religieuses. Ce colloque a pour ambition d’explorer les enjeux épistémologiques et les défis sociétaux liés à l'intégration des dimensions religieuses dans les pratiques diplomatiques contemporaines, notamment dans les contextes de crises, de guerres et de tensions sociopolitiques mondiales.
Ainsi, le Colloque international sur la diplomatie religieuse (CIDiR), qui se tiendra à l'UCAD les 6 et 7 avril 2025, s'inscrit dans un contexte géopolitique et socio-économique mondial particulièrement complexe. La planète traverse des crises multiformes, allant des conflits internationaux, tels que la guerre russo-ukrainienne et la crise israélo-palestinienne, aux turbulences économiques mondiales, sans oublier les instabilités régionales dans des zones comme la CEDEAO et le Sahel. Ces crises révèlent des limites intrinsèques aux réponses purement politiques et économiques. Cet état des choses met en lumière la nécessité d'une approche diplomatique plus intégrée et holistique, où la diplomatie religieuse jouera un rôle crucial. Cette diplomatie offre un cadre alternatif qui prend en compte les dimensions culturelles et religieuses des sociétés, souvent négligées par les analyses classiques basées uniquement sur des données politiques et économiques.

L’importance de la diplomatie religieuse est d’autant plus évidente à une époque où les religions, et les institutions qui les incarnent, continuent de jouer un rôle central dans la construction des identités collectives et dans l’élaboration des valeurs morales et sociales. Les autorités religieuses, en tant que leaders charismatiques et symboliques au sein de leurs communautés, ont une capacité non négligeable à favoriser la compréhension mutuelle entre des groupes souvent en conflit. Ce rôle va au-delà de la simple médiation, puisqu’il implique une influence directe sur la gestion des crises sociales et politiques, à travers des actions concrètes de pacification, de dialogue et de solidarité avec les populations vulnérables. En ce sens, la diplomatie religieuse représente un levier essentiel pour résoudre les tensions internationales et régionales, en apportant une approche plus humaine et plus ciblée que les réponses institutionnelles classiques.

Au demeurant, CIDiR 2025 représente une opportunité unique pour approfondir cette réflexion. En réunissant des diplomates, des chercheurs, des responsables religieux et des acteurs de la société civile, le colloque promeut surtout une approche interdisciplinaire permettant de croiser les perspectives et les méthodologies de différentes disciplines, telles que les sciences politiques, les sciences sociales, les sciences du langage, la théologie et les études culturelles. Cette diversité enrichira non seulement la compréhension des enjeux épistémologiques de la diplomatie religieuse, mais permettra aussi d'explorer comment les acteurs religieux peuvent être intégrés de manière dynamique voire systématique dans les processus décisionnels internationaux. En effet, le rôle des autorités religieuses dans la prévention des crises, la résolution des conflits et la promotion du développement humain durable reste sous-exploité. Pourtant, ces acteurs jouent un rôle essentiel dans le renforcement de la résilience des communautés face aux crises mondiales, comme l’a démontré leur action lors de la pandémie de COVID-19, où les institutions religieuses ont joué un rôle clé dans le soutien aux populations vulnérables.

Dakar, en tant que ville multiculturelle et plurireligieuse, constitue le lieu idéal pour cet événement. Le Sénégal, avec son histoire de coexistence pacifique entre diverses confessions religieuses, offre un contexte propice à la réflexion sur la manière dont les valeurs religieuses peuvent être des leviers pour l'unité sociale et la coopération internationale. Il est donc impératif de formaliser et d’encadrer les pratiques de médiation des autorités religieuses, non seulement en tant qu'acteurs locaux, mais aussi dans le cadre des dynamiques diplomatiques internationales.

Le CIDiR 2025 se place dans la continuité du forum sur la diplomatie religieuse organisé en juin 2024, qui a mis en lumière l'importance de l'intégration des dimensions religieuses dans la gestion des crises et des conflits internationaux. Les discussions de 2025 permettront non seulement de consolider ces réflexions mais aussi d’élargir les réseaux de coopération internationale. Cette démarche s'inscrit dans une vision portée par le Professeur Ahmadou AlyMbaye, ancien Recteur de l’UCAD, et Thierno Amadou Tidiane Ba, Khalife de Bambilor, qui, par un partenariat, visent à combiner savoirs académiques et pratiques de terrain dans les politiques publiques, et à promouvoir des politiques plus inclusives, adaptées aux réalités locales et aux enjeux mondiaux.

En somme, ce colloque est une occasion privilégiée pour explorer, formaliser et intégrer les pratiques de médiation religieuse dans les stratégies de diplomatie mondiale. La diplomatie religieuse est plus qu’une réponse aux crises actuelles ; elle est un catalyseur pour la paix, la coopération et le développement durable.